Après deux regrettables reports (en raison d’abord du slow up, puis d’une météo très mauvaise donc peu propice aux libellules et papillons, l’objectif essentiel de notre sortie), c’est en groupe restreint (compte tenu des changements de date) que nous nous retrouvons au Pont sous la conduite d’Aristide Parisod, biologiste, pour entamer, sous un soleil radieux, cette journée d’exploration de la Vallée de Joux.
Dans la prairie humide aux abords du lac Brenet, nous pouvons admirer des centaines de plants d’orchidées notamment la délicate Epipactis des marais/Epipactis palustris en fin de floraison et l’Orchis moucheron (ou moustique)/Gymnadenia conopsea, au long éperon caractéristique. Parmi cette flore aux couleurs chatoyantes, de nombreux insectes vaquent à leurs occupations matinales. Muni de son filet, Aristide capture plusieurs papillons qu’il place dans un bocal, ce qui nous permet d’observer plus précisément: Le Myrtil, brun avec quelques taches orangées et une ocelle sur les ailes antérieures ; le Souci/Colias croceus ou Colias crocea, migrateur à la teinte jaune-orange; l’Azuré bleu céleste/Lysandra bellargus, reconnaissable (pour le mâle) à sa couleur bleu piscine et (pour les deux sexes) à ses bords frangés noirs et blancs; l’Héspérie de la houque/Thymelicus sylvestris, orange, commun et répandu que l’on peut parfois voir rassemblé en nombres au sol dans des terrains boueux; hormis les papillons, Aristide nous fait observer plusieurs espèces de criquets, dont la femelle est généralement plus grande que le mâle et se distinguant des sauterelles par leurs antennes nettement plus courtes et plus épaisses: le criquet des pâtures/Pseudochorthippus parallelus, criquet le plus commun de Suisse, aux genoux noirs ; le sténobothre ligné (ou commun)/Stenobothrus lineatus, de couleur globalement verte, parfois brune, à l’extrémité de l’abdomen rouge chez le mâle; le criquet ensanglanté/Stetophyma grossum, typique des milieux humides, au statut vulnérable, dont la femelle porte parfois des marques rouges. Aristide alors nous explique et nous montre la manière dont ces insectes produisent leurs stridulations : en frottant les fémurs de leurs pattes postérieures, équipés de petites dents, contre leurs élytres. Puis, c’est au tour de la libellule à quatre taches/Libellula quadrimaculata d’être observée en détail avec ses quatre taches foncées au milieu du bord antérieur de chaque aile, caractéristique spécifique de cette espèce.
Le deuxième spot d’observation nous emmène dans une prairie à proximité de la Lionne, non loin de l’Abbaye, où se loge l’Orchis musc/Herminium monorchis, petite orchidée aussi discrète que rare, très localisée, de couleur jaune verdâtre, au léger parfum de miel. A la faveur d’intenses recherches, notre petit groupe en découvre trois plants au bord du chemin, ayant miraculeusement échappé aux assauts de la débroussailleuse et autres machines en tout genre! (A titre comparatif, lors de notre sortie avec le Ganal en 2022, nous en avions compté une trentaine, et Aristide une cinquantaine en 2021). Outre cette délicate fleur, nous sommes éblouis et étourdis par un véritable ballet multicolore de papillons, sans doute stimulés par les rayons bienfaisants du soleil. Nous pouvons en effet admirer le Grand nacré/Speyeria aglaja, aux grosses taches nacrées sur les ailes postérieures ; l’Hespérie du dactyle/Thymelicus lineola, se distinguant de l’Hespérie de la Houque (précédemment vue) par l’extrémité de ses antennes noires ; le Moiré blanc-fascié/Erebia ligea, le plus grand moiré de Suisse, muni de franges blanches et noires et reconnaissable à sa tache blanche en forme de dent sous l’aile postérieure ; la Mélitée du mélampyre/Melitaea athalia, la plus commune des mélitées ; la Pieride de la rave/Pieris rapae, petit papillon blanc dont le bas de l’aile est saupoudré de gris ; la Piéride du navet/Pieris napi dont le bas de l’aile est gris et les nervures surlignées de gris; la Mélitée noirâtre/Melitaea diamina, facilement distinguable des autres mélitées à son apparence plus sombre, aux ailes ponctuées de points noirs ; le Gazé/Aporia crataegi, blanc aux nervures noires, lié aux haies et lisières et potentiellement menacé ; et enfin le Tabac d’Espagne/Argynnis paphia.
Quant aux criquets, nous pouvons observer le Criquet jacasseur/Stauroderus scalaris au chant caractéristique ainsi que la Miramelle alpestre/Miramella alpina, de couleur vert fluo avec des bandes noires sur le côté, et l’un des seuls criquets non chanteurs.
Outre cette multitude d’insectes, quelques oiseaux se manifestent, notamment une Bondrée apivore, une buse variable et un groupe d’Orites à longue queue.
Poursuivant notre exploration, nous faisons ensuite une halte au lieu-dit le Bas-des-Bioux, zone humide favorisant la présence des libellules. Nous pouvons en effet y admirer la Cordulie métallique/Somathochlora metallica, de couleur vert métallique et aux yeux similaires à de petites billes vert émeraude ; l’Agrionou demoiselle, lequel au contraire des libellules a les yeux écartés et tient ses ailes fermées sur son dos ou en biais. Aristide nous présente également une Libellule déprimée/Libellula depressa, devant son nom à la forme de son abdomen très large et plat, la juvénile, comme la femelle, étant jaunes, et les mâles adultes, bleus ; ainsi qu’un Criquet des pâtures/Pseudochorthippus parallelus, femelle ; un Criquet verdelet/Omocestus viridulus, produisant un bruit caractéristique évoquant l’arrosage automatique ; et une magnifique Grande Tortue/Nymphalis polychloros, à la teinte fauve intense, pas commune au contraire de la Petite Tortue. Après le pique-nique savouré dans une prairie agréablement ombragée, nous faisons un petit crochet par la Tête du lac.
En traversant la forêt, c’est un concert de chants d’orites, de mésanges huppées et bleues qui nous accompagne avant que nous atteignions le poste d’observation d’où nous pouvons apercevoir un Chevalier cul-blanc, en quête de quelque subsistance sur la berge sablonneuse. A proximité de ce poste, nous pouvons également observer en détail deux nouvelles espèces de libellules : la grande Aeschne/Aeschne grandis, grosse libellule aux ailes brun fumé ainsi que le Caloptéryx vierge/Calopteryx virgo, aux ailes entièrement bleues à la différence du Calopteryx éclatant/Calopteryx splendens dont l’aile n’est pourvue que d’une seule bande bleue.
A Praz-Rodet, notre étape suivante, depuis le petit pont enjambant l’Orbe, nous découvrons une Nymphe à corps de feu/Pyrrhosoma nymphula à l’abdomen rouge et aux pattes noires (rouges chez l’Agrion délicat), une Gomphe à pinces/Onychogomphus forcipatus à la posture du corps courbé en forme de S et aux appendices anaux typiques en forme de pince ou de forceps, ainsi qu’un Fadet commun/Procris, seule espèce de Fadet dépourvu d’ocelles sous l’aile arrière et le coléoptère/Liparus germanus, le plus gros des charançons de Suisse.
Enfin, dans une prairie maigre et humide, encore magnifiquement fleurie à proximité de Praz-Rodet, parmi des Azurés communs/Polyommatus icarus, nous avons la chance de pouvoir contempler le rare et menacé Azuré des Paluds/Phengaris nausithous, papillon non migrateur et lié à la présence des fourmis pour compléter son cycle (comme tous les Phengaris), présent dans les prairies humides où pousse la Pimprenelle officinale/Sanguisorba officinalis à laquelle il est complètement inféodé : en effet, l’œuf est pondu sur les inflorescences de cette plante, la chenille s’en nourrit, l’adulte la butine et dort dessus. Ce papillon, reconnaissable à sa couleur brun cannelle caractéristique, garde toujours les ailes fermées. Enfin, un Nacré de la sanguisorbe/Brenthis ino, se distinguant du Nacré de la ronce par quelques détails sous l’aile et le magnifique Robert le diable ou C-blanc/Polygonia c-album, aisément reconnaissable au bord de ses ailes très découpé et muni d’un C blanc sous les ailes.
Au terme de cette superbe journée haute en couleurs et riche en insectes, c’est autour de la table de la terrasse du Café de la Frasse que nous pouvons savourer une délicieuse fondue locale au…gingembre.
Texte : Françoise Parisod, photos : Gilbert Bavaud